Quand les masques tombent ou Là où il n'y a pas de petites douleurs

Titre pessimiste? Réactionnaire? Définitif? Bien que ce blog ne me sert de tableau où je peux y épingler mes lettres ouvertes, de manière générale en cas de crise (générale ou personnelle), et que j'aurai profondément aimé y accrocher une lettre annonçant un rôle décroché, la passation de squatteur nomade à celui de propriétaire ou locataire stable, ces derniers jours m'ont un peu plus chamboulé que les jours de la boucle temporelle dans laquelle je suis coincé depuis près d'un an.


Pour vous résumer le contexte...

Après les dernières vacances d'été (1 semaine dégotée en seulement en 5 ans), et ma énième audition pour Disneyland (et la dernière, ça en devient drôle seulement les 2 premières fois), je me retrouve à la rue. Après 2 nuits fraîches assis au bord de la Place de la République, 2 jours à piquer du nez dans un café, je m'endors vraiment par mégarde, profondément, devant un Starbucks, et en 3h, malgré ma veste fermée, mes bras bouclées autour de ma sacoche, me v'là bien. En réouvrant les yeux, je ne peux que constater avec horreur que mon portefeuille est posé sur le sol, juste à côté de moi. Reprenant peu à peu mes esprits, je me mets à regarder mes poches, même les plus inutilisées : mon portable a également été volé. S'il en était de même pour mon ordinateur et ma CB, je n'aurai certainement pas hésité à me jeter sous une rame de métro. Mais coup de bol : le malfrat m'a juste chourré le billet que j'avais retiré. Il est environ 4h du mat, et je me dirige vers le poste de police le plus proche. Au fond, ce n'était qu'un prétexte pour passer le temps en attendant le lever du jour. On passe au plan Z-Z-Z : on prévient maman par mail... En quelques heures, elle arrive à me trouver une maison totalement insalubre appartenant à l'ami de son mec. A peine il nous ouvre la porte que son premières paroles suivants ses salutations sont : "Dis-donc t'as grossi depuis la dernière fois!" Merci c'est adorable... On est en juillet, le temps passe et pas grand chose ne se passe si ce n'est un énième taff qui me glisse entre les doigts.


Puis un jour, nouveau coup de théâtre...

Un samedi soir presque habituel où je m'emplis de cochonneries comme si Halloween était déjà là, et où ma série diffuse un épisode que j'ai vu plus d'une fois, la pub démarre. Je monte pour aller aux toilettes. Après ma petite commission, mes mains sont posées au-dessus du lavabo, fixant l'orifice du meuble. Ma tête divague, et lance une alerte pour que je m'asseye à même le sol. Trop tard...
Une douleur de derrière le crâne me réveille, j'essaye de comprendre le quand-comment-pourquoi je suis allongé à terre. J'ai un mal fou à bouger tout seul et finis par m'asseoir contre la douche. Je découvre dans ma panique, que la douleur au crâne n'est pas minime : du sang en découle. J'ai beau ne pas avoir peur lorsque je donne mon sang par l'intérieur de mon coude, celui-ci sorti d'un autre endroit me le glace. Je ne comprends rien si n'est que j'ai peur. La fontaine rouge n'est pas non plus un raz-de-marée, mais je reste assis pour un topo : combien de temps est-ce que je gis sur le sol? Aucune idée de comment s'est déroulée la chute, le trou noir total. Moi qui suis réputé pour ma mémoire d'éléphant, la peur monte un peu plus. Même atteindre la paume de la douche afin de me passer de l'eau m'était impossible. Respirant à peu près normalement, je prends sur moi pour descendre (appréhendant les escaliers). En m'allongeant sur le canapé, j'éprouve une drôle sensation : serais-je vivant demain matin? Ayant de plus en plus de mal à me relever, je me résous à la chose suivante. 

Je n'ai pas envie d'être seul ce soir, j'ai mis mon orgueil de côté pour appeler les pompiers. Fait, encore fallait-il user du peu de forces qui me restait pour marcher et aller leur ouvrir. Je m'affale, assis sur le canapé. Ils sont trois, et en tentant de leur faire le topo de la soirée, ils ont essayé de m'analyser en deux temps trois mouvements. Pourtant, plus ils essayaient de voir ce qu'il en était de la blessure, plus je voyais le sol bouger. Il arrivait un moment où l'aîné du trio a prononcé quelques mots de trop, lorsque je pris peur quand je vis le sol s'orienter à la verticale! : Vous avez envie de vomir? Me voilà projeté au sol, à quatre pattes et qu'à plusieurs reprises, un jus beige tirant sur le gris, épais, aux reflets marrons, se déverse sur le plancher depuis le fond de ma gorge. Deux des chevaliers s'empressent de trouver un récipient adéquat dans la cuisine. Avec la marée que ce pauvre bois de plancher venait de subir, il n'y avait plus grand chose à recracher dans le tupp qu'ils m'avaient ramené. De nouveau assis, sous une odeur à décorner les cocus, j'ai l'impression d'être un gamin de 5 ans lorsqu'un pompier me fait enfiler mes chaussures, et me fait les lacets. L'étendu des dégâts est recouvert d'un drap, et je suis escorté jusqu'au camion en fauteuil roulant. Je crache avec mes poumons, mais mon système digestif n'avait plus rien en stock. Désolé au passage à ceux et celles qui n'avaient pas le cœur et l'estomac en place durant cette lecture.

J'ai fermé les yeux durant une bonne partie du trajet, tant mon équilibre partait en vrille. Arrivé à l'hôpital, sur mon brancard, on me présente 2-3 personnes vêtues de blanc. Ils s'étaient arrêté dans un couloir, et pourtant, j'avais toujours cette impression de rouler sans interruption, les yeux ouverts ou clos. On m'amène à une petite chambre, proche de l'entrée. Du brocard au lit, ils s'y mettent à plusieurs avant pour me déplacer tel une baleine échouée et blessée. Tellement déboussolé que je ne suis pas sûr d'avoir dit au revoir aux pompiers... On me change de haut, on tâte mon crâne, et on me met sous perfusion. Je répète avec difficulté aux questions du médecin.

Détail important partagé avec les pompiers : lorsque j'ai perdu mon travail, avec mon solde de tout compte, j'ai fait une seule folie. Certainement la pire étant donné les circonstances. J'ai acheté en ligne une boîte d'Anaca3. Des comprimés qui avaient le droit à leur pub à la télé pendant un certain temps, disponibles sous plusieurs critères. Les miens étaient censés brûler les graisses à vitesse grand V. Puisque à de nombreux réunions de familles, on m'interroge soit sur mon orientation professionnelle, soit sur mon tout de taille qui s'élargissait peu à peu, histoire de rendre fier un peu tout le monde, moi le premier, j'ai investi dans ce poison. Ce qui s'est passé ce soir du 12 octobre en était, entre autres, les conséquences. Malgré les doses journaliers respectés (2/jour), deux-trois jours consécutifs ont suffit à m'amocher au mieux. Et les cochonneries avalées le dernier soir ont suffit à faire exploser le tout.

Même si les comprimés n'ont pas aidé, ils n'ont été pour les médecins que le feu jeté au poudre. Ce dernier élément été composé de tout ce que je gardais en cage dans ma tête. En gros, avec toutes les emmerdes (dépouillement d'argent, de dignité, de métier; avalanche de mépris et de coups) qui m'ont été imposés ces dernières années, je me suis fixé une règle : je ne pleurerai uniquement que si l'événement en question est grave, si elle a une réelle importance pour qu'on pleure pour elle. Le vase a bien entendu débordé. De quelques gouttes ce soir-là, attendez de savoir la suite...

J'ai passé toute la nuit dans cette chambre d'hôpital avec un scanner en plein milieu. Rien à déclarer parmi mes organes vitaux, avec en prime un crâne solide. On me prescrit des médocs contre le vertige (dont 1 que j'avale avant de partir) et les vomissements et on me relâche dans la nature avec le bracelet rouge gardé au poignet, ainsi que mon tupp lavé entre-temps. Je me déplace sans l'aide de personne jusqu'à la sortie. Même ma mère n'a pas pu venir et je n'avais personne d'autre. Quoi qu'il en soit, après les achats effectués à la pharmacie, rien n'est aisé le matin pour repartir vers ce bled paumé que j'exècre, avec des bus totalement irréguliers. Le Tanganil prend tout de même effet, et je nettoie les dégâts avec des respirations réguliers en dehors de la maison car l'odeur n'a pas pris une ride. Un passage au lavoir pour ce drap souillé, un peu de ménage...

Alors que j'étais censé commencer en tant qu'ouvreur dans l'un de mes théâtres parisiens préférés, le lendemain de la rencontre entre mon crâne et le carrelage de la salle de bain. De même pour un rendez-vous avec une de mes meilleurs amies que j'attendais depuis longtemps. La synchronisation de tous ces événements est tout simplement parfaite. Les jours suivants, je me déplaçais de la même manière que mon bien-aimé grand-père atteint d'Alzheimer, à la différence que je n'avais pas de déambulateur. J'évitais de sortir afin de rencontrer un autre bavardage avec la Faucheuse comme le 12 octobre. J'étais confiné avant les autres. Car même si ma santé physique m'améliorait, le mental me disait : "Ce serait pas mieux de prendre une canne? Non parce que là t'es bon pour te ramasser. Encore." Je vous laisse l'idée du temps que ça m'a pris pour me réintégrer à la vie.

S'il existe une formule magique pour commencer une histoire ou savoir s'il s'agit d'une histoire ou des pensées entrelacées et compliquées… et bah je ne l'ai pas trouvé. Pas de travail, encore moins de tournage; quelques kilos retrouvés; un cœur qui me rappelle qu'à ce train-là je mourrai de la même manière que Mozart (jeune et au plus bas de sa réputation); une baraque merdique à l'image de son propriétaire; que demander de plus?

Il y a quelques semaines, j'ai terminé une série qui m'a entièrement retourné : The Leftovers (HBO). Et parmi la mise en scène bouleversante, se trouve un personnage mis peu à peu "à l'écart" au fil des saisons : celui de Megan Abbott. [ALERTE SPOIL] Ce personnage bien que secondaire, mais joliment développé m'a touché pour une chose bien particulière. La raison de sa colère. Alors que l'intrigue se base sur la réaction de la population mondiale qui perd au moins un de ses proches de manière inexpliquée (2% de la population mondiale disparaît le 14 octobre quel que soit leur âge, leur sexe, leur origine, etc.), Megan s'en fout comme de l'an 40. La veille, le 13 octobre, sa mère bien-aimée meurt d'une attaque en plein milieu d'un déjeuner qu'elles partageaient entre mère et fille. Elle porte le deuil, elle est soutenue par son entourage, mais... POUF! 2% de la population mondiale disparaît! Et pour la plupart des 98% des restants, une mort comme une attaque tout à fait anodine pour une femme âgée n'est rien comparée à la souffrance et l'incompréhension internationale. Un deuil et une souffrance que la population minimisé en l'espace de moins de 24h.

Comme je la comprends. Lorsque mon confinement est tombé, la Covid-19 n'était pas encore un problème. D'autant plus que lorsque c'est le national qui est tombé, autre superbe synchro : une journée de tournage était prévue durant la première semaine. Dès lors, je roulais des yeux à chaque fois que je voyais une personne se plaindre d'un confinement, pendant que le mien était prolongé de plusieurs mois.

J'en conclue la chose suivante : le début d'un confinement individuel ou national est pareil à une malédiction de la fée Emmerdeuse.

Plus récemment...

Je me suis réinscrit à la Mission Locale. Et j'ai beau le répéter, n'avoir aucune aide de l'hôpital (même après ma sortie), le crier sur tous les toits, il s'est passé plusieurs semaines avant que l'on me dégote un rendez-vous avec un psy.
Et puis miracle! Mi-juillet... un job d'été décroché! Attention, je parle du Job par excellence : salaire plus élevé que le SMIC, logement gratuit et clean, avantages sociaux, superbe vue depuis mon poste de travail, etc. Bref! L'opportunité dans toute sa splendeur. Je me sentais bien plus chez moi dans cette toute petite chambre que dans ce taudis au fin fond de la Seine-et-Marne. La cerise sur le gâteau était que j'étais en plein bord de mer, sur l'Île d'Oléron, dans ma Charente-Maritime tant aimée. Je devais simplement traverser la route depuis logement pour rejoindre la résidence de vacances. Un boulot sympa en tant que barman, avec des collègues (pour la plupart) super sympas également, une bonne bouffe à chaque repas (ça me changeait des plats tout prêt ou pas très recommandés par les nutritionnistes). Le seul inconvénient était peut-être au niveau des horaires, mais pourquoi s'en soucier? Avec cette bonne paye, j'étais enfin reparti sur les rails de l'once de belle vie que j'espérais : une motivation, de l'argent pour préparer ma rentrée et reprendre les cours de théâtre (interrompus contre mon gré mais c'est une autre histoire...), avec mon appartement à moi, une expérience dans la restauration qui me permettra de me stabiliser enfin tout seul... Et j'en passe et des meilleurs!


L'allée jusqu'à l'Île est pour le moins mouvementé. Sachant que l'entretien d'embauche s'est fait en face-time, la veille. Donc préparer tout un départ la veille, cela faisait tard, même pout une heure d'été. Mais je m'endoloris les zygomatiques à force de sourire en voyant les paysages charentais et familiers qui se dessinaient enfin sous mes yeux! Je suis formé dans ce bar un peu isolé le jour, mais pas mal fréquenté durant les animations du soir.

J'y avais déjà installé mes premiers rituels : bouquiner et marcher longuement sur la plage durant ma pause en milieu de journée. J'avais même fait ma première cleanwalker improvisée. Lorsque la journée était terminée, je m'asseyais sur la plage, et je voyais tellement d'étoiles comme ce n'était pas permis, avec de la musique dans les oreilles. Parfois, je marchais entre les rochers que la marée prenait le soin de cacher durant la journée, ou je marchais jusqu'à ce  que l'eau m'arrive au bas de mon short... Et bientôt, en ayant mon premier salaire en fin de mois, je pourrai enfin m'acheter un maillot de bain, faire des longueurs parmi cette odeur d'iode. Car je n'avais plus un centime, mais j'avais encore par chance, une petite réserve de crème solaire. Le soir sur la plage, je n'étais jamais autant enthousiaste d'entendre autant de bruits et de brouhaha émanant de la ville de proximité et de très probable fête foraine. 

Vous l'aurez compris, j'avais enfin la place que je pensais mériter, mais que depuis le début de cet article, rien ne s'est passé comme prévu. Mais là, il y avait de quoi mettre le feu à cette résidence de mes fesses...


L'injustice dans toute sa splendeur!

J'avais une période d'essai de 6 jours. J'étais formé par une jeune femme, dans la même tranche d'âge que la mienne, très aimable, le soir où je pose mes valises. Elle m'annonce alors que je suis le 3e cet été. Les deux premières (je suis donc le premier barman) étaient parties parce qu'elles n'en pouvaient plus de leur supérieur ou de l'ambiance. Ce ne sont pas ces paroles qui m'ont découragé : encore une fois j'étais heureux d'être ici. Certes, j'appréhendais, car c'était la première fois que je travaillais en tant que barman, mon premier job d'été. A force de voir mon père faire ce métier et me transmettre certains trucs, j'en ai tout de même quelques bases. Et c'est le premier travail alimentaire, où mes doutes étaient mis de côté afin de me donner à fond.

Le dernier et 6e jour (d'affilé - le premier se passait le soir où j'étais formé, et dès le lendemain on me lâchait seul, dans le grand bain), il eut un hic : je pensais que, comme je travaillais 35h, c'était ma journée de pause. Et non! Résultat, une collègue du restaurant vient toquer à ma porte. Je me précipite pour arriver sur le lieu. Le bar était censé ouvrir depuis 10 minutes environ. 3-4 clients m'attendaient. J'ai pourtant su rattraper mon coup "comme si de rien n'était". Je ne me suis pas laissé faire, et je me suis la chose suivante : "Parmi les 4h de pause en milieu de journée je prendrai le temps de rattraper mon retard".

Chose promise, chose faite. Car je me devais de faire le ménage de la très grande salle (au balais qui plus est, car aspirateur en panne), et y passer avec une serpillère usée et pas la plus adaptée pour ce travail (sauf pour le sceau à roulettes). Missions éreintantes, mais un coup de nez à la fenêtre et l'odeur d'iode me requinque aussi sec. Je reste confiant, et reprend ma routine en bord de mer, une fois le travail rattrapé.

Le travail se passe bien. Rien à dire. Et puis le soir, alors que je finis de nettoyer les derniers verres, les dernières tables, le patron passe en coup de vent afin d'y faire un "premier point". 

Il est 23h et des poussières. Je n'ai pas fini de sortir les poubelles, la barquette avec les bouteilles à consigner. Il me signale bien entendu le retard de ce matin, et ne passe par quatre chemins pour me dire qu'il ne souhaite pas prolonger ma période d'essai. Je tombe de haut... J'essaye tant bien que mal de me défendre au max, je ne bafouille pas et reste poli, je ne détourne pas mon regard du sien... rien n'y fait...

Voilà de quoi il se plaignait :
  • Mon retard de ce matin : Je me suis rattrapé comme il se devait, sans faute, sans fausse manœuvre, tout en m'excusant à maintes reprises;
  • Mes réflexes : Trouvant qu'au début j'avais certains réflexes de barman, d'autant plus que celle qui m'avait formé n'avait jamais travaillé en tant que barmaid. J'avais de l'assurance dans mes gestes, et faisais mon travail comme il se devait. Lui, il ne me voyait que le soir, à des heures alternatives.
  • Ma tenue vestimentaire : Le premier soir on ne m'avait pas parlé de tenue vestimentaire. Cependant, j'ai su rester simple avec un t-shirt simple à couleur unie, jean et chaussures. Ma collègue travaillait (lors de mes journées de pause et lors de ma formation) avec décolleté bordeaux à motifs ou t-shirt, baskets, et short en jean court au-dessus du mi-cuisse. Après l'une de mes pauses en milieu de journée, je me suis changé pour un short à la place du jean. Couleur unie, sans motif, non-moulant, m'arrivant aux genoux. J'ai gardé cette tenue pour mon service du soir, puis il m'a demandé pour la suite de reprendre mon jean. Ce que j'ai fait, puis s'en est suivi 2-3 réflexions en me demandant si je n'avais pas autre chose, comme une chemise. En lui disant que je ne croyais qu'il n'y avait pas de "dress code". Il me répondait à chaque fois par des phrases commençant par "Non mais...". En gros, pas assez sexy, pour porter la tenue que je veux, au point qu'il aurait fallu au minimum des chaussures de ville et une chemise.
  • Mon intégrité : Il disait que je ne m'étais pas assez intégré au groupe. Pardon mais encore une fois, il ne m'a pas vu à l'œuvre assez longtemps. A chacun de mes doutes je n'avais aucun mal à demander de l'aide. En dehors de ça, les seuls moments où je pouvais parler avec collègues du restaurant (car je suis pour le moins seul dans ce bar isolé du reste de la résidence), et en coup de vent lorsque je leur faisais un café. Et comme je ne fume pas, les pauses cigarettes aux fins de service, j'évitais. Ça ne m'empêchait pas de m'intégrer, d'échanger quelques mots, nos vies en quelques lignes, de m'entendre avec la plupart. Avec l'un d'entre eux, c'était même prévu de se faire une bouffe une fois qu'on aurait reçu notre premier salaire (je rappelle qu'on était seulement sur la 2e partie de juillet).
Aucun de ces arguments cités ci-dessus ou dessous ne pouvait sortir de ma bouche bien entendu...

Voilà sur quoi je me suis tu à son propos :
  • Son adjointe (présente à l'entretien en visio, seule personne présente lors de la signature du contrat, non présente lors de mon licenciement) a eu le culot de se coller à moi pendant que je comptais la caisse en fin de soirée sans son masque! Personne n'est épargné, personne! Autant je pouvais faire abstraction du fait qu'elle me scrute limite sa tête posée sur mon épaule durant tout le long du décompte, mais le respect des gestes barrière était bien mort;
  • Pour revenir sur le dress code, lui ne se gênait pas à se pavaner dans tous les lieux de la résidence avec son pantacourt beige à multiples poches et ses chemises quadrillées à manches courtes, il ressemblait bien plus à un campeur-pêcheur qui se serait perdu en cherchant le chemin de la plage, qu'au directeur en personne! Le dernier soir il s'est permis de faire un alcool à ma place pour un vioque capricieux, et a failli se tromper dans le rendu de la monnaie. Ca serait retombé sur moi en cas de faute au moment du décompte;
  • On ne m'a donné qu'une seule courte soirée de formation, avec un simple balais pour nettoyer une très grande salle seul, avec un animateur capricieux digne d'un fils de, j'estime avoir fait mes preuves dans des conditions pour le moins courtes et peu conventionnelles, et voilà qu'on me licence pour aucune circonstance atténuante!
La colère est monté d'un cran lorsqu'il me fit signer un petit papier officiel disant qu'il n'y aurait pas de suite à ma période d'essai, avec dans la phrase : "j'ai l'honneur"! Comme si cela signifiait que c'est un réel plaisir de se débarrasser de moi. Dans ce cas-là, il ne fallait certainement pas me convoquer pour faire un "premier point" si celui-ci était le dernier!

Papier signé, sans un mot ajouté, je suis retourné à mes occupations. Les bouteilles vides rangées, il ne me restait que quelques secondes : j'ai alors chopé une bouteille de cidre, une bouteille de limo (parce qu'en vrai je suis pas trop alcool), et je les ai posé sur le rebord extérieur d'une fenêtre isolée, et j'suis retourné au bar juste avant l'arrivée de l'autre bourrin. Il m'a juste vu fermer les frigos à clé, et changer de sac poubelles. J'ai signé sous ses yeux ma feuille de service avec les horaires effectuées cette semaine. Je la lui ai remis en lui lançant un des pires regards que j'ai pu lancer à un être humain. Il m'a juste dit "merci" en lui tendant la feuille, que j'aurais volontiers aimé lui faire ravaler à coup de genou dans ses lentilles qui lui servent de couilles.

En restant digne, je suis parti en lui tournant le dos, sans même lui dire "au revoir" ou "bonne nuit". D'un pas ferme à travers le couloir, le hall, la route et l'étage jusqu'à ma chambre.

Je change mon pantalon pour mon short, mes écouteurs, mon portable. Mes jambes ont repris leur élan jusqu'à la route. En sortant de ma chambre, je me suis rendu compte que mon badge avec mon nom dessus et celui de la résidence était encore accroché par un aimant à ce t-shirt (que mon boss n'appréciait pas des masses sur ma personne). Même avec des passants autour, je me suis jamais autant foutu du reste du monde qu'en cet instant : je l'ai retiré en le fracassant sur le goudron. Les bouteilles étaient encore là, encore fraîches. Je m'en saisis et m'assois à l'endroit habituel de mes autres soirs, en regardant l'horizon. Comme tout les soirs...

Le barrage qui s'effondre...

Depuis bien avant mon accident, bien avant que je me retrouve à la rue, je m'étais fixé une règle : "Ne déclenche plus de fontaine à tes yeux. Ne montre pas ta faiblesse à tes ennemis (moraux ou physiques). Ne leur donne pas le plaisir de pleurer pour eux." Sans m'en rendre compte, j'avais appliqué cette règle, créant ainsi un barrage immense. Au pied de ce bâtiment, s'était élevé plusieurs monuments engendrant de superbes paysages : une motivation pour reprendre un travail à la rentrée, de l'argent pour avoir un appartement à moi et enfin quitter le taudis poussiéreux, reprendre les cours de théâtre! (et pourquoi pas un shooting photo afin d'avoir enfin de vraies photos à montrer aux castings plutôt que celles difficilement prises avec retardateur sur un simple portable).

Le barrage s'est effondré : mes larmes ont fait le ménage de ce paysage au pied du bâtiment, dont l'espoir était au rendez-vous. Je n'ai pas pleuré autant et aussi fort depuis près de 6 ans, au minimum. A l'hôpital, je n'en n'avais versé que 2 ou 3 comme à la fin d'un film.

J'ai vidé la moitié de la bouteille de limonade, en admirant une dernière fois le luxe qui m'était offert au-dessus du paysage, tous les soirs. L'envie de fracasser les vitres du bar avec les cailloux de la plage me traversait l'esprit à plusieurs reprises durant cette phase de larmes. De retour dans la chambre, j'ai allumé l'ordinateur et vidé la bouteille de cidre toute la nuit. Avec ma résistance à l'alcool très minime, j'étais bourré en quelques minutes... J'ai regardé un film en pleurant tout du long, en émergent des chagrins, des deuils enfouis auxquels j'avais réagi contre mon gré avec la règle du barrage. Dont un deuil qui date de plus de 10 ans... Je me dédoublais comme ma première fois sur scène : un doublon qui vivait la scène, l'autre qui regarde le premier en le décortiquant. Au sein de cette chambre, le 2e doublon scrutait le 1er en constatant que les larmes n'ont jamais été aussi grosses, que je ne m'étais jamais autant lâché depuis des lustres. Me regarder dans un miroir n'a jamais été aussi troublant depuis la fois je me suis fait défigurer par des coups sur tout le visage, devenu un hématome à lui tout seul (et j'étais encore au collège).

Je me suis endormi aux alentours des 5h du mat, la bouteille vidée. Depuis la veille, je n'avais d'autre choix que de rester : il ne me restait que 2€ sur mon compte, et le temps de faire mes bagages, la rage me collait au même endroit. Ce qui n'a pas empêché à ce connard de patron, de venir toquer à ma porte vers midi. J'avais pris le soin de fermer ma porte à clé, je lui ouvre et il me demande quand est-ce que je compte m'en aller, le tout sur un air où il est à deux doigts de me demander si j'ai fait de beaux rêves... Lorsque je lui ai décrit en 2 phrases ma situation bancaire, il a eu le culot de me demander pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt. Ce à quoi je lui ai répondu : "Quand on gâche la carrière de quelqu'un, on en assume les conséquences". Certes, j'ai pas mal exagéré sur les mots "gâcher la carrière". Je globalisais avec mes projets prévus à l'issu de travail, bien entendu. Et j'ai eu la décence de ne pas lui montrer mon majeur, et de le mitrailler de tous les noms d'oiseaux. Je n'avais pas terminé ma phrase que lui ai claqué la porte au nez, de nouveau fermée à clé. Plus tard il est revenu en disant que son associée me donnerait une avance de 150€ avec un papier signé qui le prouvera. Je ne pense pas l'avoir remercié en lui claquant une fois de plus la porte. J'ai préparé ma valise, me suis débarbouillé, puis j'ai rendu visite une dernière fois à cette associée. Elle m'accueillait avec un grand sourire, en me faisant bien comprendre sans le dire, qu'elle s'en foutait comme de l'an 40 de ce retournement de situation. 

J'ai fait un saut au bar, j'ai parlé quelques minutes avec ma collègue afin de l'interroger sur sa tenue qu'elle portait le soir de ma formation et durant cette conversation : rien a changé, toujours un short au-dessus du genoux, avec un t-shirt. Décontractée, une tenue d'été quoi. Que ce soit bien clair, je ne lui en voulais pas. D'après elle, il n'est pas impossible que quelqu'un se soit plaint. Client ou collègue? Aucune idée et je ne voulais pas le savoir. Elle a été adorable jusqu'au bout et je lui en suis reconnaissant. Étant donné que certains collègues du restaurant que je connaissais avait leur journée de repos le jour-même, je ne pouvais pas leur dire au revoir. Honnêtement, je l'ai observé, et je dois dire que je trouvais qu'entre ses gestes et les miens, je m'en sortais mieux dans ce travail.

Faute de maillot de bain, je me baigne avec le sous-vêt' que je porte pour la première fois depuis près de 6 ans! Quelques longueurs, et je ne pouvais pas en faire d'avantage... Sans plus de discours, je suis allé en ville boire un verre, quelques petites provisions pour le lendemain, de la monnaie pour le bus. Sans oublier le petit mot pour mes collègues à accrocher sur le tableau en liège dans l'espace déjeuner. Je croisais d'autres (déjà ex-)collègues que je connaissais moins. Je ne souhaitais pas trop leur parler maintenant, de peur de péter un plomb.

Le lendemain, le réveil s'est fait normalement. J'étais large pour descendre mes sacs (sans nettoyer la chambre, ma sympathie a des limites dans ces comme celui-là), épingler mon petit mot, piquer une banane dans la réserve pour le petit-dej'... et rendre ma clef à ma collègue de l'accueil, en lui souhaitant bonne chance... J'ai presque couru pour sortir car je voyais la co-directrice à proximité. Lorsqu'une autre collègue m'a vu descendre avec cette valise, elle croyait que je partais en week-end (alors que pour ce dernier cas je me serais contenté d'un petit sac à dos), et sa mâchoire manqua de tomber lorsqu'elle en découvrit la raison.

Et me voilà parti la boule au ventre. Comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule : le lieu de l'arrêt de bus pour quitter l'Île d'Oléron était TRES mal indiqué. Bien qu'un abris-bus au bord de la route était pour le moins évident à mes yeux, que nenni! Le bus passe au loin, de l'autre côté d'un immense parking. Me voilà embarqué dans un périple afin de rejoindre une grande route, et faire travailler mon pouce pour qu'une voiture s'arrête.

Il ne me faudra pas moins de trois voitures pour quitter l'Île et atterrir à La Rochelle. Et devinez quoi? EN SHORT!! N'en déplaise à certains! Le train que j'étais censé prendre était déjà parti. Mais bon, cela me faisait quelques minutes de plus en Charente-Maritime.




Dans le train, j'ai le temps pour deux films de guerre avec mon ordinateur. Une fois à Paris, une curieuse dans la petite 30aine, assise derrière moi, me demandait ce que je regardais car il avait l'air "
trop bien". Vous voyez, finalement j'aurai au moins initié une ignorante au cinéma de Jean-Pierre Jeunet avec "Un long dimanche de fiançailles". C'était le seul moment de l'été où j'étais fier, fier de déballer ma science sur mon monde à une inconnue. Même durant une simple demi-minute qui nous fallait pour descendre du train. La fierté de trouver un travail et de construire des projets? : poubelle!

Arrivé en Seine-et-Marne, il fait encore jour. A peine mes valises étaient posées dans ce squat que je répugne pardessus tout, que je ressors prendre l'air dans le jardin, profiter de la verdure et du soleil... v'là qu'une s@*!#e de guêpe se glisse sous la languette de ma chaussure et me défonce la cheville!

Il n'y a pas d'équivoque, je l'ai dit et le redis : une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seul. Je haïssais cet endroit tout comme l'inverse.

La légende de "chez moi"...

Cela fait plus de deux ans que je n'arrive plus à dire au peu de gens que je croise : "je rentre chez moi". Je ne me sens chez moi hormis les moments où je monte voir mes grands-parents et ne peux pas y vivre. D'autant plus que j'ai des ruines à reconstruire par ici.

Voilà plus de deux ans que la notion de "chez moi" est presque devenue une légende urbaine. Avant de me retrouver à la rue suite à mes vacances, je dormais sur mon lieu de travail, dans un grenier à poussières où je respirais l'amiante, presque comme dans un cercueil. Les conditions pour m'allonger étaient si mauvaises que 2 jours après ces trois mois, lorsque j'ai retrouvé un lit, mon dos était coincé; la douleur était telle que j'en était paralysé pour près d'une demi-journée. Encore avant cela je squattais au sein d'une colocation où il faisait bon vivre. Et encore avant cela, on me chasse de ce qui était "chez moi". Mais c'est encore une autre histoire...


De l'effondrement de barrage à aujourd'hui...

Autant vous dire que le fait d''être retourné dans ce nouveau cercueil a fait en sorte que la sensation d'être allé et venu sur une certaine Île d'Oléron n'était qu'un simple fantasme, un songe, un coma qui a duré environ six jours.

Avec la Mission Locale, me voilà embarqué dans un de leur programme qui me permet de toucher une allocation, mais me donne en même temps l'impression de régresser au 36e dessous, d'être revenu au collège. Un peu plus et on m'apprend à m'asseoir sur le pot. Le mépris plane une séance sur deux, un mois entier durant.

Le psychologue qu'on m'a dégoté finit par me demander qu'est-ce que j'attends de nos séances, avec un air complètement soulé et fixe : deux balles de ping-pong sans clignotants qui aimeraient bien que je lui donne un billet ou un gros chèque à la sortie. Le risque de bosser à titre gratuit pour la MDS. Je n'arrive pas à répondre à cette question, et il ne manque de me mettre mal à l'aise par son air et son regard.

Donc le psy, je m'assois dessus, et prends rendez-vous avec un médecin qui m'oriente à un cardiologue : j'ai le cœur qui s'emballe depuis quelques temps. Amoureux? J'aimerai bien, mais cette notion est devenue aussi légendaire que celle d'être "chez soi". Ma santé ne s'est pas arrangé malgré mes efforts. Pas plus tard que cette nuit (du 29 au 30 octobre), mon cerveau m'a créé un rêve où le scénario de mon renvoi se répétait... Sympa!

Conclusion? On va bouquiner, écrire, et se battre encore, comme on le fait toujours. J'ai juste l'impression d'être passé par la panoplie complète des pièges de Jigsaw (cf. saga Saw), qu'il me manque deux-trois membres... mais heureusement que j'ai fait le plein de culture avant ce reconfinement : 4 pièces de théâtre, 3 films. Pas beaucoup si on fait le calcul, mais quel bien fou cela peut faire. Ne vous en faîtes pas pour l'alcool : c'était seulement pour cette soirée de désespoir et je m'en passe très bien aujourd'hui. Vous allez rire : les 150€ que j'ai reçu en billets n'étaient pas une avance, mais bien quelque chose en plus. Chose que j'ai découvert en recevant mon salaire où le montant cité n'a pas été retiré. Mais ce n'est pas ces trois billets qui me feront taire ou qui compenseront ce que j'avais prévu (confiné ou pas)!

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Auditions des Conservatoires d'arrondissements de Paris en Art Dramatique (témoignage)

Stage de coaching vocal et scénique aux Cours Florent (témoignage) #cours_florent #apprendre_à_chanter

Comment ça a commencé ou comment débuter de la figuration? #cinéma #figuration